Le masque rend possible l’expérience de soi.
Je conçois des ateliers de transformation éphémère afin d’éprouver l’impact des normes de genre sur mon corps dans l’espace public. En m’autorisant
à devenir quelqu’un d’autre le temps de ces performances, je m’approche de ce qui me compose.
Cette expérience me donne accès à des clés de compréhension des rapports de pouvoir dans l’espace public, de ce qui se joue, invisible, et conditionne les corps qui le traversent. Il m’a fallu me désincarner pour discerner ce qui d’ordinaire m’étouffe mais ne pouvait être identifié.
Photographes : Stéphane Degoutin, Clara Faye, Etienne Macquet
Série accompagnée d'un journal de bord, extrait :
"Léo, première fois :
Je referme la porte de son appartement. S me demande quel sera mon prénom pour la soirée. J'appuie sur le bouton d'appel de l'ascenseur et lui réponds : «Léo». Presque du tac au tac.
Brusquement c'est la rue. Je marche et regarde mes pieds, mécaniquement. C'est pourtant le moment ou jamais sur les passants de tester mon effet. Où sont vos regards en coin? Relevez la tête, confrontez-moi. Imposez-moi vos jugements. Je vois, transpercée, venir vos désirs, votre curiosité mêlée de soulagement de ne pas être moi.
Mais impossible cette fois, de croiser vos regards. Les femmes l’évitent, ce que je fais aussi d’ordinaire sans m'en apercevoir. Quant aux hommes ils ne font pas attention à moi. Je suis devenue invisible à leurs yeux. Je me sens remplie d'une émotion nouvelle. Personne ne questionne ma légitimité à être là, dans cette rue, à cet instant. Je me suis libérée des regards. Je me suis enfin délestée de la pression incessante des remarques et désirs.
[...]
Nous entrons dans un bar bondé. Mon appréhension grandit sensiblement. Je suis bien plus vulnérable. Fais-je toujours illusion? Par chance, je me fonds dans le décor. Le brouhaha me force à parler plus fort. Ma voix monte dans les aigus.
Je préfère le silence."